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11 octobre 2013 5 11 /10 /octobre /2013 10:48

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La découverte d’une adolescente pendue à un arbre près de Bororó de Dourados, au Brésil, pour atroce qu’elle puisse paraître, ne choque plus les membres de la tribu Guarani Kaiowá dont elle était issue : cette tribu a un des taux de suicide les plus élevés du monde.
 
En préparation à la Journée Mondiale de la Santé Mentale qui a eu lieu ce jeudi 10 octobre 2013, l’association Survival International a publié un rapport selon lequel la tendance au suicide des Guarani Kaiowá est 34 fois supérieure à la moyenne nationale brésilienne.
 
Sans fard, l’association présente cette propension morbide comme un « génocide silencieux ».
 
La communauté Guarani Kaiowá compte 31 000 membres, dont la plupart habitent dans l’état de Mato Grosso do Sul, au sud-ouest du Brésil. Depuis qu’elle a été dépossédée de ses terres ancestrales au profit des ranchers et des exploitations agricoles de production de biocarburant, elle est en proie à l’alcoolisme, à la dépression, à la misère et à la violence.
 
Cette situation dure depuis des décennies, mais Survival explique que le taux de suicide des Guarani Kaiowá a augmenté au cours des dernières années. Depuis le début du XXIsiècle, on y constate pratiquement un suicide par semaine.
 
Dans presque tous les cas, les gens se pendent à l’aide de cordes, de ceintures ou de pièces de vêtement. Il s’agit majoritairement de jeunes. La dernière victime, découverte ce mercredi, était une adolescente de 17 ans. La semaine dernière, un garçon de 16 ans de la réserve de Dourados et un autre de 19 ans de la réserve d’Amambai s’étaient suicidés.
 
« La raison principale, c’est le manque de terres », explique Mary Nolan, une religieuse américaine qui est aussi avocate spécialisée dans les Droits de l’Homme. « Les Guarani pensent que leur relation à l’univers est rompue depuis qu’ils ont été séparés de leurs terres. Ils se perçoivent comme un peuple brisé. » Dans la communauté, beaucoup de gens interprètent leur rupture d’avec le cosmos comme un signe prémonitoire de la destruction de l’univers.
 
Les conséquences de la dépossession de leurs terres ancestrales ne se bornent pas à ces questions cosmologiques : elle a aussi ruiné la structure sociale de la communauté. Traditionnellement, les querelles entre familles d’un même clan se réglaient par le départ d’une des familles qui partait un peu plus loin fonder un nouveau clan sur un nouveau territoire. Ce mode de résolution des tensions sociales exigeait de disposer d’un vaste espace forestier ; il n’est plus possible depuis que les Guarani sont entassés par milliers dans des réserves non extensibles.
 
Dans une des camps de la réserve Dourados, le taux de meurtre est 50% plus élevé qu’en Irak. L’atmosphère oppressante et violente est encore assombrie par les assassinats des chefs de clan qui se dressent pour réclamer la restitution de leurs terres par les fermiers.
 
La tendance au suicide a pris corps, si l’on ose dire, au sein de la première génération à grandir dans les réserves, dans lesquelles les tribus ont été obligées de s’installer dans les années 1970.
 
Tonico Benites, ethnologue Guarani, explique : « Sans terres pour perpétuer leur culture ancestrale, les Guarani-Kaiowá se sentent humiliés. Ils ont honte. Beaucoup se sentent tristes, exposés à l’insécurité, instables, inquiets, affamés et misérables. Ils ont perdu leurs champs et leurs espoirs d’une vie meilleure. Ils sont exploités et réduits en esclavage par les producteurs de canne à sucre qui alimentent l’industrie de l’alcool. Cette misère et cette désespérance sont les causes de la violence et des suicides, endémiques parmi les jeunes. »
 
Les autorités brésiliennes ont pris la mesure de cette vague de suicides mais tardent à prendre des mesures à la hauteur de son ampleur.
 
Plusieurs jugements de justice ont ordonné l’attribution de nouvelles terres aux Guarani, mais peu de choses ont été faites dans ce domaine depuis les années 1990. Seule une petite portion de leurs anciennes terres leur a été restituée, ce qui a très symptomatiquement été suivi d’une baisse des suicides. Depuis, la démarche a pratiquement été stoppée, sous la pression dit-on que le lobby « ruralista » des grands propriétaires terriens exercerait sur le Congrès brésilien.
 
Ailleurs dans le monde, d’autres communautés indigènes ou aborigènes, dont les îliens Tiwi d’Australie, les bergers Khanty de Sibérie et les Inuits du Groenland, connaissent des taux de suicide anormalement hauts. Selon les anthropologues, cette tendance est étroitement liée à la perte de leurs terres, à la désintégration sociale qui s’ensuit, prélude à la dépendance économique et à l’appel à l'assistanat et aux associations humanitaires. Le résultat de cette dépossession est partout le même : violence et alcoolisme à l’intérieur de la communauté, mépris et rejet xénophobe à l’extérieur. Selon le mot d’un de ces anthropologues, les jeunes se retrouvent « coincés quelque part entre un passé qu’ils ne comprennent pas et un avenir qui ne les accepte pas. »
 
« Malheureusement, le cas des Guarani n’est pas unique. Partout dans le monde, les peuples autochtones ont des taux de suicide très supérieurs au reste de la population », explique Stephen Corry, directeur de Survival International.
 
Beaucoup de voitures roulent à l’éthanol au Brésil. Mais ce « progrès » s’est fait au détriment des peuples de la forêt, dépossédés de leurs terres pour les besoins de la production de canne à sucre.
 
Et au prix d’un suicide de jeune par semaine.

 


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