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1 septembre 2010 3 01 /09 /septembre /2010 05:10

paysans cambodgiens 3

Les pays en ayant les moyens achètent des terres arables à l'étranger.


Crises céréalières et précarité alimentaire

 

La crise pétrolière de 2007-2008 s’est traduite, entre autres, par un doublement du prix de plusieurs denrées de base dont le riz, le blé et le maïs. Bien au-delà de l’augmentation du prix de la baguette de pain en France, le phénomène a entraîné des émeutes de la faim dans plusieurs pays qui ne sont pas (ou plus) autosuffisants en termes de production agricole : Mexique, Chine, Corée du Sud, Arabie Saoudite, Émirats Arabes Unis, Inde, Maroc, Somalie, Haïti, Égypte, etc. Ainsi, en janvier 2007, des dizaines de milliers de Mexicains ont défilé dans la capitale pour protester contre l’augmentation de 40% du prix des tortillas ; en 2008, des dizaines de personnes ont trouvé la mort lors de violentes émeutes survenues en Égypte, au Maroc, à Haïti, en Somalie.

 

Ces émeutes ont mis en relief la précarité de ces pays à la démographie galopante et à la production agricole insuffisante : que les sources d’approvisionnement viennent à se raréfier, ou que les prix de production et de transport viennent à augmenter, et leurs populations se trouvent dans des situations de faillite voire de famine. A l’intérieur de certains pays, le phénomène joue entre les régions : c’est notamment le cas de la Chine, dont l’urbanisation accélérée fait se dépeupler les campagnes vivrières et se bétonner les terres arables. Les mégapoles sont très sensibles au tarissement de leurs approvisionnements et se retrouvent, toutes proportions gardées, dans la situation de villes assiégées.

 

Ces pénuries amènent bien évidemment les pays qui en sont victimes à se réserver leur production agricole, et ainsi à cesser temporairement les exportations. Les Japonais, par exemple, qui ne sont plus autosuffisants en matière de riziculture depuis les années 1920, ont vu diminuer en 2008 les importations massives de riz chinois à faible coût dont ils avaient l’habitude. Ainsi la raréfaction des produits de base se propage de région en région, de pays en pays. Encore traumatisée par la grande famine de 1958-1961, la Chine est déjà en situation de grande précarité : ses réserves d’eau s’épuisent, ses terres agricoles (déjà limitées à 12% de la surface totale, contre 36% en France par exemple) s’amenuisent sous les coups de l’exode rural et de la déprise agricole face à l’urbanisation et à l’industrialisation. Les enfants des paysans préfèrent les lumières de Shanghai à l’autarcie des campagnes reculées, pour ne pas dire arriérées.

 

Une solution : l'achat massif de terres arables

 

Pour se prémunir des risques de pénurie, les pays concernés qui en ont les moyens se sont lancés dans une vaste politique d’acquisition de terres arables à l’étranger. Car il est évident que le prix du pétrole ne peut que monter dans les décennies qui viennent, et que la population mondiale va continuer à croître. Tôt ou tard, les tensions de 2008 réapparaîtront, risquant même de devenir endémiques là où elles ne le sont pas déjà. Elles seront vraisemblablement doublées d’une tension analogue sur l’eau d’irrigation et sur l’eau potable (d’où les efforts importants des pays du Golfe Persique pour se doter d’installations de désalement de l’eau de mer).

 

L’époque n’est plus à l’accaparement des ressources des pays voisins par la force armée. Aujourd’hui, ce ne sont plus les puissances militaires qui s’imposent, mais les puissances d’argent. Classée au quatrième rang des pays importateurs de denrées agricoles, la Chine a commencé des achats massifs de terres arables dans le monde, pour pallier son déficit alimentaire chronique. La Corée du Sud, l’Inde, les Émirats Arabes Unis et l’Arabie Saoudite sont également devenus de gros acheteurs, faisant monter les enchères. Depuis 2006, plus de vingt millions d’hectares de terres arables ont été vendus par des états pauvres à des investisseurs étrangers. Pour fixer les idées, cela représente un tiers de la surface totale de la France ou la totalité de ses surfaces cultivées. L’ensemble de ces transactions se monte à 20 ou 30 milliards de dollars, et ce n’est vraisemblablement qu’un début.

 

La relative modestie de la surface totale acquise à ce jour ne doit pas masquer que ces achats se font dans un nombre limité de pays qui concentrent ainsi les effets, bons ou mauvais, de ces transferts. La cible de ses acquisitions est essentiellement l’Afrique (Madagascar, Éthiopie, Soudan, Ghana, Mali), très friande d’investissements étrangers et riche en terre peu mises en valeur, mais d’autres pays pauvres ou appauvris sont également touchés : Cambodge, Philippines, Pakistan, Indonésie, Brésil, Argentine, Kazakhstan. Le phénomène touche même l’Ukraine, qu’on ne peut pas qualifier de pays pauvre mais qui dispose de réserves de terres importantes dont les habitants se détournent, attirés par les villes.

 

Avantages et inconvénients

 

Pour les pays vendeurs, ces cessions de terres sont à double tranchant. Elles représentent de belles opportunités de développement à court terme, financées par des investisseurs étrangers. Les technologies, les savoir-faire, les emplois créés, les infrastructures construites (routes, écoles, centres sanitaires) sont autant de retombées positives. L’installation d’exploitants étrangers peut être un catalyseur du développement économique rural. Leur présence est facteur de création de richesses, à condition de faire participer les populations locales.

 

Mais il y a aussi beaucoup de risques si le processus n’est pas maîtrisé. Pour acheter des terres, les investisseurs des pays assez riches exercent parfois de fortes pressions sur les pays vendeurs, jouant sur la complicité des élites locales, au détriment des petits propriétaires. En Afrique, faute de vrai droit foncier, les dirigeants n’hésitent pas à réquisitionner les terres privées au nom de « l’intérêt national », pour les revendre ensuite beaucoup plus cher aux étrangers. Les paysans dépossédés n’ont pour solution que de se rabattre sur des terres plus pauvres ou de quitter l’agriculture pour venir s’entasser dans les bidonvilles des métropoles. Ceux qui choisissent de continuer à cultiver subissent la terrible concurrence des grandes exploitations étrangères qui imposent leurs prix et conquièrent les meilleures parcelles.

 

La situation est comparable au Cambodge, où le droit foncier ne se remet pas de son abolition par les Khmers rouges et où des mouvements de populations déshéritées ont amené des milliers de migrants pauvres sur des terres abandonnées par les victimes des guerres, dans la capitale Phnom Penh ou dans les quelques villes connaissant un essor touristique (Siem Reap, Kompong Som).


L’absurdité du système commence à apparaître : des pays exportent alors qu’ils n’arrivent même pas à nourrir leur population. Le Cambodge, en situation chronique de famine, a loué au Qatar et au Koweit pour 600 millions de dollars de bonnes terres agricoles, alors qu’il est sous perfusion du Programme alimentaire mondial, à hauteur de 35 millions de dollars.

 

En préférant la spéculation aux investissements de développement, l’achat direct à court terme plutôt que les retombées plus lentes de l’exploitation de leurs propres terres, les gouvernements vendeurs s’engagent en outre dans une voie qui fragilise à terme leur propre sécurité alimentaire.

 

Une situation pérenne ?

 

Ces transferts de terres accroissent aussi le risque d’instabilité politique. En 2009, la société sud-coréenne Daewoo Logistics voulait louer à Madagascar 1,3 million d’hectares de terre pour 99 ans, soit la moitié des terres cultivables de l’île. Ce contrat approuvé par le président Ravalomanana a été l’étincelle de la crise politique de mars 2009. Il dut abandonner le pouvoir sous la pression de la rue. Andry Rajoelina, son tombeur et successeur, proclama aussitôt que la terre malgache n’était pas à vendre.

 

Le directeur de Daewoo Logistics avait pourtant tout fait pour ancrer le projet dans un ambitieux plan de développement de l’île : il prévoyait la création de 71 000 emplois et près de 6 milliards de dollars d’investissements en infrastructures. « Notre terre n’est pas à vendre », lui répondit la population, plus attachée à ses racines qu’à de brillants plans de financement.

 

La Chine, quant à elle, ne se contente pas d’acquérir des terres à l’étranger ; il serait d’ailleurs illusoire de combler ainsi un déficit agricole portant sur 20% de la population mondiale. Zhang Ping, directeur de la Commission Nationale pour le Développement et la Réforme, a récemment annoncé un renforcement de la politique de soutien à l’agriculture de manière à amener la production céréalière à 95% de son seuil d’autosuffisance à l’horizon 2020. Il ne restera au gouvernement chinois qu’à importer les céréales nécessaires à 75 millions de ses concitoyens…

 


 

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