La révolution de Jasmin se traduit, un mois plus tard, par un afflux de clandestins sur l'île italienne de Lampedusa. Les autorités italiennes en appellent à l'Europe.
Le jeudi 9 février, 137 migrants tunisiens ont débarqué sur l’île italienne de Lampedusa, située à 138km à peine des côtes tunisiennes dans le Canal de Sicile. Quelques heures plus tard, dans la nuit de jeudi à vendredi, quelque 852 autres sont arrivés dans une centaine d’embarcations, selon le journal La Repubblica Palermo. Interviewés par la presse, les clandestins ont raconté avoir tous fui la Tunisie en raison des tensions de ces dernières semaines.
Vendredi, une centaine d’autres migrants ont été secourus en mer sur leur embarcation, et ramenés à Lampedusa par les gardes-côtes italiens, portant ainsi à plus de mille le nombre de migrants arrivés dans la petite île en à peine trois jours. Le maire de Lampedusa, Bernardo De Rubeis, parle d’un exode « de dimension biblique. »
D’autres chiffres circulent : Radio Vatican parle de « milliers d’immigrés clandestins » qui auraient débarqué sur l’ensemble des côtes italiennes entre jeudi et vendredi, le journal algérien El Watan évoque le nombre de 4000 sans citer ses sources. Hassan Jouini, chroniqueur à l’AFP, reprend ce chiffre de 4000 immigrants clandestins sur la seule île de Lampedusa, chiffre qui aurait été avancé samedi par le commandant de la capitainerie du port, Antonio Morana.
Vendredi, l’Italie a demandé l'aide de l'Union européenne et « le déploiement immédiat d'une mission Frontex d'interceptation et de patrouille au large des côtes de Tunisie pour le contrôle des flux », mettant en garde contre le risque d'une « crise humanitaire ».
Au-delà de la crise humanitaire à gérer, l’Italie évoque d’autres risques. Mercredi dernier (avant même l’arrivée des premiers migrants), le ministre italien de l’Intérieur Roberto Maroni avait déclaré : « la fuite de criminels des prisons tunisiennes nous inquiète beaucoup, en raison du risque d’infiltrations terroristes parmi les Tunisiens qui veulent venir en Europe déguisés en réfugiés politiques ». Certains clandestins interceptés par la police tunisienne au départ de leur traversée étaient effectivement des prisonniers échappés. Les autorités tunisiennes ont annoncé, jeudi, avoir fait échouer au large des côtes du gouvernorat de Sfax une tentative d’immigration clandestine vers l’Europe de 195 personnes. L’embarcation, qui provenait des côtes sud de la Tunisie, se dirigeait vers le nord. Parmi ces 195 personnes se trouvaient des détenus qui étaient parvenus à s’enfuir des prisons tunisiennes.
Samedi, un jeune s’est noyé et un autre porté disparu aux premières heures de la journée à Jdalia au large de Zarzis (sud-est de la Tunisie) dans le naufrage d’une barque transportant 12 migrants clandestins. Les passagers sont sorties indemnes à l’exception de trois jeunes transportés à l’hôpital de Zarzis.
Au-delà des exagérations et des peurs irraisonnées, et au-delà des tensions que les clandestins déclarent vouloir fuir, deux faits expliquent ce brusque afflux de migrants vers l’Italie.
D’une part, l’écroulement du régime de Zine el-Abidine Ben Ali n’a pas fait disparaître les problèmes économiques de la Tunisie, notamment dans les provinces pauvres de l’intérieur. La vie y est toujours aussi difficile et les revenus toujours aussi rares. La crise est encore aggravée par le tarissement des ressources du tourisme à cause des événements récents, de sorte que même les régions côtières sont frappées par la récession.
D’autre part, la décomposition accélérée de l’ancien régime tunisien a créé un flottement dans l’application des accords qui lient (ou qui liaient) la Tunisie et l’Italie. « Le problème est que l'accord bilatéral que nous avons avec la Tunisie, qui permettait jusqu'à présent de gérer efficacement l'immigration illégale, n'est pas appliqué en raison de la crise », a expliqué vendredi le ministre italien de l'Intérieur Roberto Maroni. Les contacts que M. Maroni avait eus avec les nouvelles autorités tunisiennes dès mercredi n’ont manifestement pas porté tous leurs effets.
De son côté, la Fédération Tunisienne des Citoyens des deux Rives (FTCR) a publié un communiqué dans lequel son président, Tarek Ben Hiba, met en garde l’Italie « contre toute mesure d’expulsion massive ou contraire aux droits humains, » expliquant qu’ « il ne faut pas accabler la révolution tunisienne par des mesures anti-immigrés. »
Apparemment, l’Italie ne l’entend pas tout à fait de la même oreille, même si sa motivation n’est certainement pas d’accabler la révolution tunisienne. Et l’Europe n’a pas encore répondu à sa demande de mise en place d’une mission Frontex de patrouille maritime contre l’immigration clandestine.