Dans un livre, un fonctionnaire déchu révèle certaines pratiques occultes des milieux officiels chinois.
Jiang Zongfu est l’ancien maire adjoint de la ville de Linxiang, une petite ville de province d’à peine 500 000 habitants dans la province du Hunan, en Chine du sud, à environ deux heures de voiture de la capitale provinciale, Changsha. En mai 2010, il a été démis de ses fonctions et « promu » au poste de vice-doyen de l’université de Yoyang, bien qu’il ne soit âgé que de 41 ans.
Sa destitution est la conclusion logique d’une carrière atypique. Issu d’une fratrie de sept, d’abord journaliste au Yoyang Legal System Newspaper puis fonctionnaire, Jiang Zongfu profite tôt de l’arrivée des nouvelles technologies et d’internet en Chine au début des années 2000. Ses talents de bloggeur le font connaître. Après un passage à Pékin en début de carrière, il est nommé à l’agence de voyages de Yoyang. La publication d’une série de recommandations adressées au secrétaire local du Parti Communiste Chinois pour lui suggérer des pistes de développement du tourisme lui valent d’être nommé maire adjoint de Linxiang en août 2005.
Cette nomination ne l’empêche pas de continuer ses activités sur internet, parfois au grand dam de certains de ses supérieurs. En particulier, deux coups d’éclat vont sceller son sort en 2010. En janvier, il dénonce le prix excessif auquel le réalisateur Zhang Yimou vend son spectacle « Impressions » aux collectivités locales en manque d’activités touristiques. En avril, il dénonce l’envolée des prix du bâtiment dans un article au titre évocateur (« les promoteurs immobiliers ont pris en otage le gouvernement, attention à ce qu’ils n’exécutent pas l’otage ! ») et dans lequel il soupçonne les officiels chargés du développement d’être complices des promoteurs.
Comme tout ce qui touche à la corruption en Chine, ses articles font du buzz sur la toile. Il y a tous les jours des milliers de réactions à ce genre d’articles, plus ou moins bien écrits. Mais ceux de Jiang Zongfu font mouche et montrent spécifiquement Linxiang du doigt, ce qui n’est pas du goût des potentats locaux. En mai, Jiang Zongfu perd sa place après douze années passées dans la fonction publique dont 1738 jours à la mairie de Linxiang : comment ne pas y voir un lien de cause à effet ?
Profitant de son indépendance toute neuve vis-à-vis du milieu politique, Jiang Zongfu entreprend immédiatement la rédaction d’un livre dans lequel il révèle un certain nombre de règles occultes qui régissent la vie politique de sa ville.
Dans un interview accordé au quotidien Guangzhou Daily, il cite par exemple le code des signatures apposées en bas des documents officiels pour les parapher : le mot « approuvé » écrit horizontalement signifie « ce n’est pas urgent » ou bien « on peut s’en passer ». Écrit verticalement, il signifie « projet prioritaire ». De même, le point final qui suit ce mot est chargé de sens : selon qu’il est vide ou plein, il signifie « hors de question » ou « à faire consciencieusement ». Par ces biais, les officiels font savoir quels projets ont leurs faveurs et lesquels ne les ont pas.
Dans son livre, Jiang Zongfu décrit la corruption de la Commission d’Inspection Disciplinaire (commission du part chargée de lutter… contre la corruption !), le trafic éhonté des promotions en échange d’importantes sommes d’argent ou de prestations sexuelles, l’aréopage de maîtresses qui vivent en orbite autour de ses anciens collègues, collègues dont Jiang Zongfu livre le nom avec quelque scrupule.
Son livre explique aussi les quatre formes de souffrance auxquelles il a été soumis en tant que fonctionnaire : maigre salaire qui oblige son épouse à travailler et qui l’empêche de rentrer chez lui tous les soirs (Jiang Zongfu ne voyait son épouse et sa fille que les week-ends, à cause du prix de l’essence), vie familiale en pointillé (ce qui explique peut-être que ses ex-collègues aient eu des maîtresses…), manque de pouvoir réel dans un milieu où l’autorité est très fragmentée et cloisonnée, difficultés à garder sa personnalité indépendante au sein de la fonction publique.
Jiang Zongfu explique au Guangzhou Daily qu’il n’a jamais accepté les pratiques occultes qui auraient pourtant pu améliorer sa condition : il aurait ainsi refusé 180 000 yuans soit environ 18000 euros de remerciement pour la mutation en ville d’un instituteur, somme qui représentait pourtant 70 fois ce qui lui restait de son salaire mensuel après paiement de tous ses frais fixes. Ce refus des pratiques inavouables contribue probablement à son éviction, précipitée par ses écrits iconoclastes. Son interview constate : « Malheureusement, je n’ai pas pu changer Linxiang. Mais heureusement, Linxiang ne m’a pas changé non plus ! »
Jiang Zongfu a terminé son livre début août. Le titre en est « Mes années cachées d’officiel : chronique de mes activités occultes de maire adjoint. » Il n’a pas encore trouvé d’éditeur. Jiang Zongfu espère qu’il en trouvera un en Chine continentale, malgré la censure et l’entregent de ses anciens collègues : non, décidément, il ne change pas !
La Chine, elle, évolue : il y a peu, personne en Occident n’aurait entendu parler de Jiang Zongfu, et lui-même aurait subi un traitement bien plus dur.