Lester Brown, expert reconnu en ressources alimentaires, prévient : les moissons ont d’ores et déjà commencé à s’amenuiser aux USA, en Inde et en Chine à cause de la surexploitation des nappes phréatiques.
Dans son dernier dossier, cet analyste (qui dirige le Earth Policy Institute de Washington) explique que dix-huit pays, sur l’ensemble desquels vit la moitié de la population mondiale, pompent tellement d’eau dans leur sous-sol que les réserves ne parviennent plus à se reconstituer d’une année à l’autre. Bilan (et preuve) : les récoltes y baissent un peu chaque année.
La situation est la plus préoccupante au Moyen Orient. Selon Lester Brown, « Parmi les pays où l’alimentation en eau a passé son maximum et a commencé à baisser, on trouve l’Arabie Saoudite, la Syrie, l’Irak et le Yémen. En 2016, l’Arabie Saoudite envisage d’importer quelque 15 millions de tonnes de blé, riz, maïs et orge pour nourrir sa population de 30 millions d’êtres. C’est le premier pays à prendre en compte l’épuisement de ses nappes phréatiques dans la décroissance de ses récoltes de céréales. »
« Le monde assiste à la collusion, au niveau régional, d’une croissance de la population et du tarissement des ressources en eau. Pour la première fois dans l’Histoire, la production céréalière régresse dans toute une zone géographique sans qu’il n’y ait de perspective pour arrêter ce déclin. La faillite des gouvernements de la région à conjuguer politique démographique et gestion de l’eau fait qu’il y a chaque jour 10 000 bouches de plus à nourrir et de moins en moins d’irrigation pour produire de quoi les alimenter. »
Lester Brown met en garde : la production céréalière de la Syrie a atteint son apogée en 2002 et a baissé de 30% depuis, l’Irak a vu sa production chuter de 33% depuis 2004, et celle de l’Iran de 10% entre 2007 et 2012, au moment où son système d’irrigation a commencé à s’assécher.
« L’Iran connaît déjà de graves problèmes. Il ressent les effets d’une raréfaction de l’eau due à un pompage excessif. Le cas du Yémen est encore plus criant : la production céréalière y a diminué de moitié sur les 35 dernières années ; en 2015, les champs irrigués y seront une rareté et le pays sera obligé d’importer la quasi-totalité de ses céréales. »
Des pays comme la Chine, l’Inde et les Etats-Unis (qui sont les trois principaux producteurs agricoles mondiaux) commencent également à s’inquiéter. « En Inde, 175 millions d’hommes ne sont nourris que grâce à un pompage excessif. En Chine, ils sont 130 millions. Aux Etats-Unis, les terres irriguées diminuent dans les principaux états agricoles où la population augmente, tels que la Californie et le Texas, tandis que les nappes phréatiques s’épuisent parce qu’elles servent à alimenter les villes en eau. »
La baisse de l’approvisionnement en eau affecte déjà les perspectives de moisson en Chine, rivale des USA en matière de production céréalière. Selon Lester Brown, « La nappe phréatique qui est sous la grande plaine de la Chine du Nord, qui produit plus de la moitié du blé chinois et un tiers du maïs, diminue rapidement. Le pompage inconsidéré a largement réduit les nappes superficielles, forçant les puisatiers de la région à descendre jusqu’à la nappe phréatique profonde, laquelle ne se renouvelle pas. »
La situation en Inde pourrait être pire encore, vu que les puisatiers utilisent désormais des techniques issues de l’industrie pétrolière pour atteindre des nappes situées à huit cents mètres de profondeur, voire plus. « Les récoltes se sont accrues rapidement ces dernières années, mais cela n’a été possible que par le puisage excessif des nappes phréatiques. L’écart entre consommation alimentaire et simple survie est très précaire en Inde, dont la population augmente de 18 millions par an et dont l’irrigation repose presque entièrement sur les eaux souterraines. Les paysans ont creusé pas moins de 21 millions de puits pour l’irrigation et ils pompent de vastes quantités de cette eau souterraine. Les nappes phréatiques s’assèchent à un rythme accéléré au Punjab, en Haryana, au Rajasthan, au Gujarat [quatre états proches du Pakistan] et au Tamil Nadu [à la pointe sud-est de la péninsule, en face de Sri Lanka]. »
Aux USA, les agriculteurs pompent au-delà des capacités de renouvellement dans les Grandes Plaines de l’Ouest, où se trouvent plusieurs grands états céréaliers comme le Texas, l’Oklahoma, le Kansas et le Nebraska. L’irrigation agricole a augmenté dans ces états, mais l’eau provient de la nappe phréatique Ogallala, énorme réserve souterraine fossile qui s’étend du Nebraska jusqu’à la "queue de poêle"du Texas [l’excroissance rectangulaire du nord de l’état]. Lester Brown prévient : « Il s’agit malheureusement d’une nappe fossile qui ne se renouvelle pas. Une fois qu’elle sera tarie, les puits s’assècheront et les agriculteurs devront choisir entre le retour aux cultures non irriguées et l’abandon pur et simple de leurs exploitations, en fonction des conditions locales. »
« LeTexas est situé sur l’extrémité de la nappe superficielle. Les surfaces irriguées ont connu leur apogée en 1975 et ont diminué de 37% depuis cette date. En Oklahoma, l’irrigation a atteint son pic en 1982 mais a baissé de 25% depuis. Au Kansas, le pic n’est venu qu’en 2009, mais en seulement trois ans l’irrigation a précipitamment chuté de près de 30%. Le Nebraska a connu son pic d’irrigation en 2007 ; depuis, sa production de grains s’est réduite de 15%. »
Lester Brown prédit que plusieurs autres pays pourraient être à l’aube d’une baisse de leurs récoltes : « Avec moins d’eau pour son irrigation, le Mexique pourrait être au ras d’un déclin de ses récoltes céréalières. Le Pakistan pourrait lui aussi avoir atteint son pic de puisage d’eau ; si c’est le cas, sa production céréalière pourrait commencer à régresser. »
Et plus près de nous Européens, le Maroc, l’Espagne et la Tunisie sont d’ores et déjà concernés par le puisage excessif.
Carte du surpompage des nappes phréatiques
établie par le Earth Policy Institute