Ce sont des grottes que les archéologues ne peuvent atteindre qu’en grimpant à travers une forêt vierge où pullulent orchidées, jaguars et anacondas. C’est une des raisons pour lesquelles ces grottes gardent encore une bonne part des secrets archéologiques qu’elles recèlent sur les hommes qui y ont habité il y a plus de 8 000 ans.
Perdues dans leur brume, ces grottes posent un dilemme au Brésil : le minerai de fer des mines de Carajás, exporté majoritairement en Chine, créent des emplois et font rentrer des devises, mais les rchéologues et les chercheurs dénoncent un projet d’extension des mines à ciel ouvert, qui détruirait une partie des grottes qu’ils présentent comme « une fenêtre sans pareil sur le passé » du Brésil, encore très mal connu.
Genival Crescêncio, historien et chercheur près de l’état de Pará (où se situe Carajás), explique : « C’est une occasion unique de découvrir une partie de l’histoire humaine de l’Amazonie, et au-delà de l’histoire du peuplement des Amériques. Nous devrions protéger cet endroit unique pour les scientifiques, et au lieu de ça nous le détruisons pour que les Chinois puissent ouvrir quelques usines de plus. »
Les grands travaux entrepris par le Brésil pour augmenter ses capacités d’extraction minière et pour développer ses infrastructures ont amené à faire plusieurs découvertes, en Amazonie ou ailleurs. A Rio de Janeiro, des archéologues sont en train de fouiller un marché aux esclaves et un cimetière où des milliers d’Africains ont été enterrés. Ces vestiges ont été découverts à l’occasion d’un chantier de modernisation du port et du réseau de transports publics en vue des Jeux Olympiques de 2016.
Les tribunaux brésiliens peuvent ordonner aux entreprises qui financent ou réalisent de tels chantiers de protéger les sites archéologiques, ou d’en transférer le contenu vers des laboratoires ou des universités où ils pourront être étudiés. Ils n’hésitent pas à le faire : en 2012, le géant américain minier Anglo-American a dû arrêter les travaux sur un grand projet du Minas Gerais sur décision de justice parce que le chantier menaçait un site archéologique.
Pour les chercheurs qui ont commencé à explorer et fouiller les grottes de Carajás dans les années 1980, ce site pourrait apporter quelques pièces essentielles au puzzle que constitue l’histoire du peuplement des Amériques, et en particulier dans la plus vaste forêt tropicale du monde.
Des tessons de vaisselle en céramique ainsi que des outils d’améthyste et de quartz, attestant d’une occupation humaine vieille de plusieurs milliers d’années, ont déjà été découverts à Carajás, dont l’immense réseau de grottes et d’abris naturels laisse présager qu’il s’agit là d’un des plus importants sites jamais découverts en Amazonie pour l’étude des hommes préhistoriques.
Ces dernières décennies, le bassin de l’Amazone a livré plusieurs sites archéologiques qui ont fait comprendre aux chercheurs que la région a été occupée par les hommes beaucoup plus tôt que ce qu’ils croyaient précédemment. Il y a trente ans, personne ne pensait que l’Amazonie ait pu abriter des sociétés étendues et sophistiquées, mais aujourd’hui les chercheurs s’accordent à penser qu’il a pu s’y trouver de véritables centres urbains avant l’arrivée de Christophe Colomb.
Avant que de telles cités aient été taillées dans le bois de la forêt, les hommes vivaient dans les grottes amazoniennes. Dans la grotte de Pedra Pintada, située dans l’état de Pará comme celles de Carajás, l’archéologue américaine Anna Roosevelt a montré qu’une société de chasseurs cueilleurs s’était installée dans la région il y a 10 900 à11 200 ans, c’est-à-dire beaucoup plus tôt que ce que l’on croyait, et à la même époque où les habitants de l’Amérique du Nord chassaient le mammouth.
En dehors de l’Amazonie mais toujours au Brésil, d’autres découvertes remarquables ont été annoncées ces derniers mois. Sur le site de Lapa do Santo (un abri rocheux près de la ville de Belo Horizonte), des archéologues ont annoncé au début 2013 qu’ils avaient trouvé le plus ancien pétroglyphe connu de tout le Nouveau Monde. La gravure, qui représente un homme doté d’un phallus surdimensionné, a été faite entre 10 500 et 12 000 ans avant nous.
Pour se rendre à Carajás, les chercheurs doivent rouler pendant des heures sur des pistes détrempées taillées à travers la forêt, avant d’escalader à pied des escarpements des Monts Carajás, dont les pics percent la canopée de la forêt embrumée. Des macaques et des chauves-souris occupent aujourd’hui les grottes où les tribus de chasseurs primitifs avaient autrefois trouvé abri.
Certaines de ces grottes, sensiblement plus fraîches que la jungle environnante, sont assez vastes pour abriter une douzaine de personnes. D’autres ne pouvaient en accueillir que deux ou trois.
Vale, une entreprise minière d’état, a commencé à exploiter le minerai de fer dans la région après la découverte des grottes en 1967 par un géologue mandaté par la U.S. Steel Corporation pour prospecter du manganèse. Depuis, Vale a été privatisée mais le gouvernement brésilien en contrôle encore une grande partie.
En grande partie grâce au complexe de Carajás, où des milliers d’ouvriers font les 3x8 dans le tintamarre des foreuses et des excavatrices, Vale produit 16% des exportations du Brésil. En 2012, ses bénéfices se sont fortement tassés, au moment même où plusieurs de ses projets à l’étranger subissaient d’importants retards. C’est pourquoi Vale compte beaucoup sur son gisement de Carajás pour redresser ses comptes.
Vale a annoncé vouloir créer 30 000 emplois dans l’extension de sa mine à ciel ouvert de Carajás, un projet de 20 milliards de dollars appelé Serra Sul qui attire déjà des milliers de migrants de tout le Brésil dans ce coin perdu de l’Amazonie.
Pour satisfaire aux lois sur les sites archéologiques, la direction de Vale a annoncé avoir embauché des équipes d’archéologues et de spéléologues pour fouiller les grottes, qui sont situées autour du futur puits de mine à ciel ouvert.
Vale a également modifié ses plans d’installation pour préserver quelques-unes des grottes – tout en en détruisant plusieurs dizaines. La compagnie a reconnu qu’au moins 24 des grottes devant être détruites sur le site étaient « d’une grande importance » mais elle a promis d’en préserver d’autres, ailleurs dans l’état de Pará « en compensation pour leur perte », comme si cette expression pouvait avoir un sens quand on envisage de détruire un site unique au monde.
Les responsables locaux disent que, bien qu’ils aient réussi à obtenir des concessions à Vale, ils ont ét impuissants à stopper l’extension de la mine. Malgré les préoccupations des archéologues, le gouvernement a octroyé à Vale une licence environnementale en juin 2012, l’autorisant à poursuivre son expansion.
Vale a encore besoin d’une autre licence, portant sur l’installation de nouvelles infrastructures. Elle compte l’obtenir courant 2013 et démarrer son projet de Serra Sul. Les archéologues et les habitués des grottes semblent résignés à voir le site de Carajás disparaître à tout jamais.
Frederico Drumond Martins, un biologiste qui supervise au nom du gouvernement la Forêt Nationale du Carajás, dit son inquiétude de voir l’extension de la mine détruire une à une toutes les grottes de Carajás dans les décennies qui viennent.
Renato Kipnis, un archéologue de renom de São Paulo que Vale a embauché pour fouiller les grottes de Carajás, explique que Vale lui a interdit de communiquer sur l’intérêt archéologique du site, en vertu d’un accord de confidentialité que Vale lui a fait signer. La compagnie l’a tout juste autorisé à se faire interviewer par e-mail, à condition d’avoir un droit de veto sur leur contenu. Ce filtre ne l’a pas empêché de s’émerveiller de l’importance que revêtent ces grottes.
« Le principal défi est de trouver le juste milieu entre la protection et le développement », explique-t-il.
Un autre défi sera assurément de voir ce que pèsent l’archéologie et l’histoire de l’humanité face aux capitaux chinois (qui semblent plus puissants que ceux américains) : la réponse devrait tomber dans quelques mois.